Où l’on cause

La blanchisserie de Nochlechka est un lieu de rencontre où les sans-abris confient leur désarroi.
Le 22 novembre 2016 Nochlechka ouvrait l’unique blanchisserie de Russie accessible aux sans-abris.
Un lieu où, avec ses habits propres, le sans logis retrouve de la dignité. Un espace aussi où l’on discute, raconte sa destinée.
C’est le cas de Shavkat Kakharov dit Alexandre que l’on a rencontré il y a peu.

Privé d’identité
Alexandre vient d’Ouzbékistan, il a 50 ans. Il est né à l’époque de l’URSS.
En 1992, alors que la Fédération de Russie vient de naître, diverses républiques ont trouvé l’indépendance, parmi elles, l’Ouzbékistan.
Alexandre se trouve à ce moment à Arkhangelsk, il a 24 ans et perd son passeport soviétique. Pour ne rien arranger Alexandre est condamné pour hooliganisme et vol. Alexandre n’a plus d’identité.

Au son des machines à laver, Alexandre nous raconte : A ma sortie de prison, sans-papier, je suis de suite arrêté par le service des migrations du district moscovite de Krasnoselski. Ils me mettent en prison pour six mois puis me rejettent à la rue sans même une attestation confirmant que je suis apatride.

Je ne suis personne
En 2012, je me suis rendu à l’ambassade d’Ouzbékistan à Moscou. Ils m’ont dit : prouvez-nous que vous êtes Ouzbek, puis ils m’ont simplement chassé. En Ouzbékistan, j’ai des parents, mais je ne sais rien d’eux. Eux non plus n’ont reçu des nouvelles de ma part. Peut-être qu’ils sont tous enterrés ?
La Fédération de Russie ne peut et ne veut rien faire non plus. Une façon de me pousser à voler. Car sans-papier comment trouver du travail, survivre ?
Mais j’ai 50 ans et je ne veux plus retourner en prison. Je veux être libre, je veux rentrer à la maison, aller sur la tombe de mon père et de ma grand-mère.

Une longue errance
Pour la Russie et l’Ouzbékistan je n’existe pas. Je survis dans la rue, je me réfugie dans des maisons abandonnées, dans des gares. Les gens me regardent comme un animal. On me rejette.
Et chaque fois que la police m’arrête, ils me demandent mes documents, ils vérifient si je suis recherché, je ne sais pas comment ils font puisque je n’ai pas de papier, puis ils me relâchent sur le pavé en criant va-t’en. Et je marche, j’erre.
Je connais beaucoup de sans-papiers sans-abris. Mais je ne communique pas avec eux, je me méfie, garde mes distances.
Juste, bonjour, au revoir, c’est tout. Avec les Ouzbeks, mes compatriotes, j’ai bien essayé d’établir un contact mais à leurs yeux je ne suis pas un des leurs. Pour eux je me suis russifié.

Un cas d’école
L’exemple pathétique de Shavkat Kakharov dit Alexandre illustre parfaitement bien ce qui arrive lorsque l’on perd ses papiers et donc toute existence légale.
Même en 2018, en Russie, à l’époque de l’informatique et de Vladimir Poutine, retrouver une identité est des plus difficiles.

Comment démontrer à l’administration que l’on existe alors que rien ne le prouve si ce n’est une présence physique ? En Russie ils sont des millions à souffrir de cette absurdité administrative, à Saint-Pétersbourg plusieurs milliers en pâtissent.
Seule l’ONG Nochlechka leur vient en aide.

Soutenez Nochlechka vous sauvez des vies.

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