18-03-14 De la rue aux étoiles

Upsala, le cirque des « hooligans »

Selon le Parquet Général de la Fédération de Russie, en 2012, les biezprisorniki, ces orphelins sans-papiers, dépassaient les trois millions. A Saint-Pétersbourg, 10’000 enfants végètent dans la rue.

Face à cette insupportable réalité, le cirque Upsala de Saint-Pétersbourg propose depuis l’an 2000 une solution des plus originales: être enfant de la balle pour se réinsérer.

L’art de s’en sortir

Sa directrice, Larissa Afanasevoj, la quarantaine, nous présente ce projet hors norme et nous parle de ces enfants, ces adolescents laissés pour compte qu’elle accueille sous son chapiteau.

« L’aventure a commencé par une rencontre. Astrid Schom, Allemande, travailleuse sociale à Saint-Pétersbourg a eu l’idée de réinsérer les enfants de la rue par le biais des jeux de la balle. 
Astrid cherchait une directrice pour ce projet, ce fut moi. Je suis metteur en scène et j’ai trouvé excellente son idée de travailler avec des enfants abandonnés.

Nous ont rejoint Jaroslav Petr et Mitrofanov des professionnels du cirque ainsi qu’une équipe de travailleurs sociaux. Upsala était né. »

Sur la piste d’Upsala, une cinquantaine de mômes et d’ados, de 6 à 20 ans, présentent: «Les Chiens». La salle est bondée. Le spectacle ne ressemble pas à ceux auxquels nous sommes habitués. C’est un kaléidoscope pétillant de divers genres, mime, art acrobatique, jonglerie, danse. A la sortie, les spectateurs ont oublié que les acteurs, longuement applaudis, étaient, il n’y a pas si longtemps, les vauriens qu’ils décriaient.

Larissa poursuit : « Les enfants de la rue subsistent dans les greniers et les caves. Nous avons essayé de comprendre intuitivement comment cela marchait avec eux. Ils ont des problèmes avec l’alcool, avec la drogue ; ils proviennent de grandes fratries éclatées. Nombreux sont des orphelins. »

Leur statut est immuable

En effet rappelons qu’en Russie chaque année, environ 15’000 adolescents de 18 ans, parfois plus jeunes, sortent des institutions spécialisées (orphelinats, internats, maison d’enfants). Les données du  Ministère de l’Education les cataloguent ainsi : 50% d’eux entrent dans la catégorie des gens à risque, 10% se suicident, 33% sont au chômage, 20% deviennent sans abri.

Au cours des 15 dernières années, près de 90’000 de ces enfants n’ont pas eu droit au logement prévu par la loi. Les autorités leur ont simplement délivré un aller simple pour le monde de l’errance, tout en sachant que leur espérance de vie moyenne dans la rue est de 7 ans.

Il faut être un peu houligane pour diriger le “cirque des houligans »

Tout en nous expliquant sa démarche de réinsertion, Larissa Afanasevoj ne peut passer une seule minute sans bouger.

 « Les capacités physiques ou psychologiques de ces enfants, de ces ados ne comptent pas pour nous, c’est sans importance. Toute personne à risque social est la bienvenue ici. Avec elle on commence à travailler, et travailler de façon approfondie. »

«
Chaque futur enfant de la balle arrive avec son bagage social, son lourd passé et la tâche est ardue pour qu’ils s’en sortent. Beaucoup en ont la volonté ; leur désir de dépasser leur statut de hooligan est grand. »

L’estime de soi passe par le labeur, par le résultat du travail

« Quand les enfants arrivent au cirque, on les fait travailler, travailler et travailler encore. Les répétitions ont lieu 5 à 6 fois par semaine, pendant deux, trois, quatre heures. Ils transpirent, ils sont obligés de travailler. Et puis à un moment, ils créent quelque chose de cool et  tout à coup, tout change. Il y a un déclic, ils invitent leurs camarades, leur montrent  leur travail. A partir de ce moment là leur statut se magnifie. Mais ce n’est que par le travail qu’ils y arrivent. »

« Bien sûr, tous n’ont pas cette volonté. En général on démarre avec une quarantaine. Très vite ce nombre passe à une vingtaine et en fin d’année, nous nous retrouvons avec un groupe solide d’une bonne dizaine de ces « mauvais garçons et filles », prêts à aller jusqu’au bout du monde ».

Texte : Nochlezhka Suisse Solidaire : Pierre Jaccard avec la collaboration à Saint-Pétersbourg de Natasha Nikolaeva

Upsala à voir sur les écrans de Suisse Romande

Cette expérience hors-norme, Verena Endtner la retrace dans son documentaire « de la rue aux étoiles ». Tout en finesse, Verena Endtner nous entraîne dans le fascinant voyage de cette réinsertion particulière,  Verena retrace aussi le parcours chaotiques de ces enfants abandonnés par l’Etat russe.