Interview du Consul Général de Russie, Yuri Gloukhov

 Suite au voyage de NSS à Saint-Pétersbourg dans le cadre du sans-abrisme, monsieur Yuri Gloukhov,  Consul Général de la Fédération de Russie, nous a accordé une interview exclusive dans les bureaux du consulat à Genève.

NSS : Monsieur le Consul, suite à l’entretien que j’ai eu avec Mme Kolossova, responsable des affaires sociales de la ville de Saint-Pétersbourg et mes rencontres avec Nochlezhka, à la fin du mois de février 2012, j’ai remarqué une légère amélioration quant aux préoccupations du gouvernement de Saint-Pétersbourg concernant les sans-papier, sans-abri. Cependant les actions gouvernementales restent encore très lentes.
D’autre part il est compliqué d’avoir des réponses précises et franches donc difficile d’apprécier réellement les efforts entrepris, pourquoi ce flou ? Est-il du à une différence culturelle ?
YG : Cela prouve que vos questions sont difficiles et que le problème qui vous préoccupe n’est pas simple, les fonctionnaires choisissent cette façon de répondre car ils n’ont pas de réponses immédiates.

NSS : Peut-être, mais on a l’impression que les fonctionnaires ne s’impliquent pas suffisamment face à ce problème. Un exemple : Mme Kolossova me disait qu’en deux ans ils ont pu aider 1’200 personnes ce qui est très peu en rapport au recensement de 2007 qui comptabilise pour le moins 28’000 sans-abris. Aujourd’hui ce nombre, dit-on, approche les 50’000. Pensez-vous qu’il existe une réelle volonté des autorités fédérales et pétersbourgeoises ?
YG : Je pense que les autorités pétersbourgeoise font leur possible pour résoudre ce problème. Cependant je ne suis pas en position pour répondre à leur place mais il se peut que tout ceci soit lié au financement mais la volonté doit y être.

NSS : D’accord, cependant on peut se demander si les sans-abris sont une des priorités des autorités de cette ville.
YG : Il faudrait étudier le programme de Saint-Pétersbourg, ce que je n’ai pas fait. Est-ce que les sans.-abris sont dans les 10, 12, ou 20 priorités de cette législature pétersbourgeoise?

NSS : Pour être plus précis j’avais demandé aux autorités pétersbourgeoises le bilan et le budget et pour l’instant leur seule réponse reste floue concernant l’aide financière qui a été accordée aux organisations non gouvernementales en 2011.
YG : Il ‘est absolument impossible  de la définir car elle intègre le budget total social prévu pour les centres de politique sociale qui s’occupe de plusieurs catégories des gens – handicapés, pauvres, familles avec plusieurs enfants etc. et entre autre sans abri.

NSS :  Coté fédéral, rien n’a été accordé  en 2011 pour les sans abri, aucune subside n’a été prévue pour les sans abri au niveau fédéral. Vous en conviendrez qu’il est difficile ainsi de se faire une idée objective de l’aide apportée.

La société civile doit exercer une pression
YG : C’est bien dommage et vous avez raison. Tout d’abord je veux dire que j’appuie toutes les actions qui poussent les autorités à résoudre les problèmes. Très souvent un fonctionnaire n’est pas parfait, spécialement dans le domaine des sans-abri. Pour que le fonctionnaire travaille mieux, il faut exercer des pressions. Vous le faites. Ce que vous et vos collègues sur place là-bas entreprenez est très positif même si, à votre point de vue, Mme Kolossova et d’autres fonctionnaires ne remplissent pas leur tâche de façon optimum comme vous le souhaiteriez, c’est bien que vous posiez ces questions, au moins ces fonctionnaires comprennent que ce problème existe.

NSS : Oui Mme Kolossova abondait dans ce sens
YG : La société civile doit exercer une pression. Le fonctionnaire arrive à son bureau, touche un salaire et le problème n’est pas résolut.

NSS : Mais c’est un problème politique. Le fonctionnaire est là pour mettre en place une politique.
YG : Le problème politique doit être abordé avec le député de cette ville. Il faut exercer du lobbying, je n’ai pas peur de ce mot. Chaque député représente sa circonscription, donc il faut insister auprès de lui pour qu’il se préoccupe des sans-abri, que ce thème soit dans ses priorités.
NSS : C’est un travail politique et ce n’est pas un Suisse qui peut le faire
YG : Bien évidemment, vos collègues de Nochlezhka eux doivent s’en occuper.

NSS : Nochlezhka est un petit groupe qui n’a pas beaucoup de relais politiques. De plus politiquement, vous le savez, en Russie c’est assez difficile. Et politiquement il y a d’autres priorités que les sans-abri. Que ce soit lors des élections législatives ou présidentielles ce thème n’a jamais été abordé.
YG : Personne ne nie la problématique des sans-abri, qu’il faut la résoudre, les médias russes en parlent. Cependant soulignons que chaque cas est individuel est donc il n’est pas aisé de résoudre l’ensemble.

NSS : C’est vrai que chaque histoire est individuelle cependant un élément est commun au plus grand nombre, celui de l’enregistrement.
YG : Avez-vous obtenu une réponse quant à l’enregistrement ?

NSS : Non, de personne. Cependant ne serait-ce pas plus simple de changer la législation concernant l’enregistrement ? Cela ressouderait une quantité extraordinaire de problèmes.
YG : Je peux vous donner un exemple, celui concernant la médecine. Il y a quelque temps de cela vous habitiez Moscou et possédiez une assurance dans cette ville. Vous aviez un accident à Vladivostok et là on ne pouvait vous soigner. C’était stupide, on a changé.

Malheureusement l’Etat n’est pas parfait
NSS : Oui c’est vrai que la législation a changé cependant les assurances elles n’appliquent pas toutes cette nouvelle loi.
YG : Je ne le savais pas.

NSS : Autre changement, l’accès aux urgences pour les sans-papier. Normalement ils peuvent y recourir sans problème. Dans la réalité cela dépend de la bonne volonté du service hospitalier. D’après Mme Kolossova si le sans-papier n’est pas reçu il devrait déposer plainte.
YG : Bien sûr.

NSS : Oui mais pour une personne dans la rue c’est mission presqu’impossible de déposer plainte. Théoriquement sur le papier cela semble aisé cependant dans la réalité c’est assez inadapté pour cette frange de la population.
YG : Vous connaissez le problème des prostituées en Europe, et bien pour résoudre leur problème elles s’unissent et font pression sur les politiques. C’est la même chose pour les sans-papier qui devraient s’organiser et exercer des pressions.

NSS : A Saint Pétersbourg vous avez dix huit districts et 14 centres étatiques pour les sans-abris et ceux-ci pour y accéder doivent présenter tout ces papiers, qu’en pensez-vous, connaissant les grandes difficultés de cette catégorie pour se rendre à la police, de demander des authentifications, il y a la corruption, etc? Pourquoi est-ce si difficile ?
YG : Acquérir ces papiers n’est pas si difficile. Chaque citoyen a droit à son passeport, il faut donc contacter la police où vous êtes enregistrés.

NSS : Oui et si par exemple le sans-abri est né à Moscou et se retrouve à Saint-Pétersbourg comment fait-il ? Il est dans la rue, sans-papier
YG : La procédure est autre chose, je n’ai malheureusement pas de réponse à cette question.
La procédure dure entre six mois, une année ou plus et il y a intérêt d’avoir un avocat pour ces démarches donc une personne seule dans la rue….

NSS : Seule Nochlezhka a des juristes pour les aider, c’est peu.
YG : Nochlezhka a des juristes qui aident ces gens ? C’est le meilleur comportement et c’est magnifique qu’ils fassent cela. De plus, la meilleure façon c’est de créer un groupe de pression qui les aide, les soigne, les nourrit.

D’abord sensibiliser puis agir
NSS : D’accord, en ce cas c’est la société civile qui s’en occupe et d’une certaine manière remplace l’Etat alors que logiquement c’est à ce dernier de s’occuper de ses citoyens.
YG : Je suis d’accord, malheureusement l’Etat n’est pas parfait, et c’est valable pour n’importe quel pays. Je ne vais pas dire que l’Etat russe soit pire que les Etats-Unis ou la Suisse mais en tant que citoyen russe je dois constater que parfois des citoyens de mon pays ne trouvent pas de réponses auprès des fonctionnaires, les « tchivnovniks », un terme péjoratif pour les qualifier.
Aujourd’hui bien des fonctionnaires sont critiqués car ils travaillent mal et donc se moquent de la problématique des sans-abri. L’important est le perfectionnement de l’Etat d’où l’impact de la société civile. En Russie elle joue un rôle de plus en plus actif. Les groupes de pressions sont une très bonne chose, je suis pour cela, c’est bien.
En Suisse ces traditions sont plus fortes qu’en Russie car dans votre pays, même dans les petits villages, la population s’exprime à main levée pour résoudre ou pas tel ou tel problème. En Russie nous avons d’autres moyens mais la démocratie n’est pas si directe.

NSS : De plus la démocratie est assez nouvelle dans votre pays.
YG : Oui la démocratie actuelle est assez nouvelle. C’est une question compliquée qui n’a pas de réponse simple.

NSS : Revenons au plan administratif, quand Sergueï Chaïgou,  le ministre des situations d’urgence du cabinet de Vladimir Poutine donne des ordres afin que les autorités pétersbourgeoises, entre autres, mettent à disposition des sans-abri des lieux chauffés, la réponse, dix jours plus tard, est de créer une commission pour étudier le problème. En attendant le froid fait des ravages.
YG : Je ne suis pas en position de vous répondre car je ne représente pas la ville.

NSS : Bien évidemment mais la question est, il y a situation d’urgence, ce sont des sans-abris et donc ce n’est peut-être pas si urgent que cela.
YG : Je suis certain que le ministère des situations d’urgence peut indiquer dans quelles villes ses directives ont été suivies. Mais vous comprenez je ne peux pas commenter cela, je ne représente pas Saint-Pétersbourg et ne suis pas au courant de ses affaires.

NSS : Certes et j’imagine que pour vous ce n’est pas facile de prendre position en tant que consul.
YG : Oui c’est vrai il y a ma fonction mais je vous réponds aussi comme simple citoyen. Je ne peux nier que le problème existe même si en tant que fonctionnaire je pourrais dire le contraire.

NSS : Voyez-vous cela est nouveau car il y a quatre ans, le problème était simplement nié par les fonctionnaires.
YG : Oui, c’est une première étape, d’abord sensibiliser puis agir.
Pour terminer j’aimerai souligner l’importance du travail que vous accomplissez ici en Suisse et à Saint-Pétersbourg grâce à Nochlezhka, c’est très bien, c’est magnifique l’assistance concrète que vous apportez et aussi cela représente une pression politique nécessaire sur les fonctionnaires pour qu’ils fassent mieux leur travail. Votre pression est partie intégrante des impulsions de la société civile pour que l’Etat s’améliore.

Les résultats c’est une autre chose. On aimerait les avoir immédiatement comme dans n’importe quel domaine.